Le début des Matudaï
Avant l'année - 15 ...Des démons. Des créatures maléfiques dégurgitées par l’enfer en personne tant leur apparence semblait hideuses. Des onis, zombies, mort vivants, des possédés … D’innombrables qualifications et surnoms ornaient le clan des Matsudaï, baignant dans un mysticisme ésotérique souvent assumé. Ces légendes urbaines abracadabresque émergeaient de leur capacité spéciale leur permettant de maitriser la chair et surtout d’adopter des apparences terrifiantes. D’ailleurs, certains membres aguerris de la communauté en profitaient pour exceller dans l’art créatif de nouvelles figures effrayantes. Il suffisait ensuite d’organiser une escapade furtive afin de terroriser les populations avoisinantes et de se morfondre dans l’obscurité de la nuit …
Ce n’était pas vraiment un luxe au milieu de cette guerre clanique de repousser l’intérêt et l’attention des autres tribus. Mieux valait se morfondre dans la dérision et le folklore risible pour s’assurer une marge de manœuvre importante. Seuls les chefs de guerres connaissant avec sérieux l’étendu de leurs pouvoirs et applications sollicitaient leurs services en échange d’une collaboration purement militaire. L’idée ne consistait pas tellement à fuir et rejeter le monde extérieur mais plutôt à gagner du temps au niveau interne. Outre la jeunesse de leur existence, le clan subissait une révolution culturelle majeure depuis déjà plusieurs années.
L’engrenage de la nouvelle ère prenait racine dans ce voyageur des terres lointaines, parfait inconnu, qui sauva leur tribu d’un déclin inévitable. Avant son arrivé, les Matsudaï ne représentaient guère plus que des sauvages obnubilés par le sang et le combat, incapables d’imaginer à quel point le don en eux était incroyable. Aucune cohésion, aucune ambition, aucun avenir. Nul ne sait d’où, comment ni pourquoi cet espèce de guide les avait pioché eux et non pas un autre. Les textes retraçaient uniquement le lourd fardeau que portait le maraudeur égaré en ces plaines sablées, avec sur le dos comme le poids d’une montagne. Une coïncidence ? Le hasard ?
Peu importait au final. Son expérience et sa science au sujet des mécanismes gouvernant l’univers et le genre humain éveillèrent davantage de curiosité que celle de ses origines. Il obtint leur respect non pas par la parole mais le don de sa personne de façon détaché, ce qu’aucun n’avait envisagé jusqu’ici. Rassembler les idéologies, privilégier les générations futurs, leur apprendre à se défendre contre le monde extérieur … Les principes qu’il inculqua à ce peuple s’avéraient bien trop nombreux pour être cités. Cependant, le sauveur ne prenait pas les allures d’un ange innocent tant le dégout et le détachement habitait son être, surement à cause de sa vie précédente …
Si beaucoup profitèrent de son savoir, un cercle très fermé autour de lui s’attela à comprendre plus en profondeur sa philosophie. L’état de cet individu affligé éveillaient en eux une compassion naturelle, tels des amis de longues dates. Une âme déjà morte pour un corps toujours vivant … L’un des sages en particulier parvenait à passer du temps avec l’inconnu, au point de retranscrire dans un livre l’ensemble des secrets issus de leurs longs échanges. C’était de ce livre que naissait la révolution culturelle majeure des Matsudaï.
La naissance de la main droite
Année - 12 à - 4 ...Les fondations nécessaires pour surmonter la survie et le besoin siégeaient maintenant sous les possesseurs du Hifu après une longue période d’effort. Elle laissait place désormais à une génération nouvelle dont faisait partie Dento parmi tant de compères. Leur société était fait en sorte qu’aucun ne pouvait se considérer comme spéciale ou élu pour une tache spécifique. Ceux attirés par la curiosité de leur sauveur se dédiaient à le servir et le comprendre alors que le reste se contentait de suivre une vie plus conventionnelle. Les parents de notre protagoniste se targuaient d’un lien plus proche avec l’auteur du livre « sacré » mais en faisaient aussi des genres de gardiens destinés à le transmettre.
Dento n’eut pas la vie d’un enfant meurtri par les pertes ou la guerre. Au contraire, les siennes passerent longuement aux cotés de sa famille, à étudier le livre et la philosophie de leur sauveur afin de préparer l’avenir du clan et surtout sa vocation. Les salles de classes, les cérémonies bercées par les torches du temple principal, les commémorations et enfin la formation militaire basique … Presque le même parcours qu’un ecclésiastique. Cependant, le calme et la sérénité apparente de cette routine ne laissait que peu de place à l’amusement oui à la vanité, plutôt enclin à user du sérieux de leur rôle.
La volonté du voyageur quant à l’éducation des jeunes imposa la séparation de ces derniers en plusieurs groupes distincts, en lots de dix à quinze pour des raisons obscures. Il ne désirait visiblement pas créer de doctrine de masse pour que chacun puisse s’approprier ses connaissances. Ce fut probablement cette mesure qui permet à une partie des membres d’échapper à l’influence du noyau d’anciens conservateurs, quasi religieux. Oui, de véritables conservateurs imperméables à toute forme de remise en question.
Peu à peu, une première compréhension du texte de leur histoire cristallisa les préceptes du clan. D’après les anciens, le maintien du système établi était une clef pour la pérennité future des Matsudaï et chacun devait y veiller coute que coute. « La main droite », un symbole fièrement affiché sur les deux poignets tel un sceau runique marquait le pas. A l’instar d’un geste indiquant le « stop », la main droite représentait la puissance du sauveur venu mettre un terme à la décadence des sauvages assoiffés de sang et de combats. La fin de l’autodestruction en somme … Et plus personne ne parviendrait ainsi à briser cette marche, même après le déclin de la tête pensante.
Evidemment … Malgré un statut indéniable, le héros vénéré n’allait pas tarder à mourir, comme tout mortel. Ce fut d’ailleurs un évènement prématuré tant le chagrin le rongeait depuis des années. De son existence, Dento même n’eut l’occasion de le voir deux fois seulement, dont une à sa mort. Assit sur son trône, au milieu d’une salle affublé de fresques antiques et illuminée par le crépitement d’un feu timide, son souffle l’abandonna définitivement. Devant tous ses disciples, le vénérable trépassa dans un silence respectueux, avec la splendeur des rois d’antan. Ni peur ni frayeur. On aurait dit qu’il ne faisait que rejoindre les bras d’un vieil ami trop attendu …
Un règne se termina ainsi pour laisser place à la main droite.
Le mouvement, seulement le mouvement.
Année - 4 à 0 ...Au dehors, le visage des conflits et guerre changeait en même temps que les Matsudaï. Les alliances et les réunifications forgeaient en secret la domination d’Iwa. A cette ampleur, peu d’armées ignoraient la menace planant sur eux, au point où les conservateurs de la main droite décidèrent de s’enrôler dans le mouvement Rikoudo malgré les préceptes. Un choix logique en sommes, avec l’espoir d’en découvrir davantage sur les origines du fameux inconnu en le recoupant avec les connaissances du pays du feu.
Si cruel que cela puisse paraitre, la grande guerre servit le destin de Dento d’une façon bien étrange. Depuis un moment déjà, plusieurs groupuscules fidèles au sauveur continuèrent d’étudier le livre sacré pour y dénicher un fond caché indiqué par divers indices. L’idéologie même des écrits se baisaient sur le mouvement, la destruction et la création, mais la fin apportée n’en était pas une ; Il s’agissait plutôt d’une préparation pour la suite. L’auteur du manuscrit avait dissimulé l’équivalent d’un second ouvrage à l’aide d’une procédure ingénieuse. Au delà de l’encre, le papier comportait des sortes de reliefs infimes, à la manière de l’écriture en braille. Cependant, cette infime différence nécessitait la capacité des Matsudaï à remodeler leur chair pour être sensible à ces reliefs.
Le père de Dento en fut l’un des premiers instigateurs, profitant de sa position pour obtenir des copies conformes du livre originel. Mais dans l’obligation de maintenir ses apparences de partisan et de la main droite, il légua à son fils la charge de suivre et aider le mouvement émergeant. La main gauche, celle qui avance et évolue. La guerre leur permit ainsi un développement rapide, le regard des anciens étant provisoirement détourné.
Un début d’échanges d’information démarra aussitôt afin de créer une branche déviante. Se regrouper, établir des réflexions et recherches sur les nouveaux écrits devint une aisance vitale. Ces derniers tentaient d’avoir le moins de relations possibles avec la guerre, bien que la mobilisation fussent inévitables. La main gauche détenait assez de pistes pour prendre une indépendance personnelle. Dento aussi prenait ses marques dans cette histoire et ni lui ni son père n’étaient dupe ; Le moment viendraient où Dento serait forcé de se séparer de ses parents. Sa mère n’en savait et il valait mieux cela.
Le problème résidait dans la façon de faire ; Par le sang ou la fuite ? Le dilemme pesait d’autant plus que l’un et l’autre risquait d’affaiblir le clan. Mais la rapidité de l’armistice les rattrapa de peu, les empêchant de réaliser une mutinerie. La séparation inespérée du mouvement Rikudo se transforma en une opportunité inestimable pour prendre leur propre chemin. Les anciens se trouvèrent piégés dans leur fureur, incapable de contester cette décision devant autant d’autres clans. Ils ne purent obtenir qu’un bannissement officiel marqué au fer sur les bras des traitres rejetés de l’ordre de la main droite.
Les partisans de la main gauche acceptèrent le châtiment afin de protéger parents, frère et sœur abandonnés. Ainsi père et fils se virent séparée et Dento pris le rôle de gardien du mouvement …